Tout sur le BDSM avec la sexologue Claire Alquier
Par Valentin & Tom
C’est quoi le BDSM pour vous ?
Le BDSM, c’est un ensemble de pratiques sexuelles qui se traduisent par les termes de Bondage, Discipline, Domination, Soumission et Sado-Masochisme. Ce sont des pratiques sexuelles contractualisées entre les participant·e·s. Pour certain·e·s, ce ne sont pas que des pratiques sexuelles, c’est aussi un art de vivre. Ce sont des échanges qui sont posés, avec un cadre.
Le BDSM, ce n’est donc pas forcément sexuel ?
Dans l’imaginaire commun, on fait souvent un raccourci en disant que le BDSM, ce sont des gens qui aiment, dans leurs rapports sexuels, utiliser des pratiques douloureuses ou brutales. Mais j’ai rencontré des couples qui pratiquaient le BDSM et qui vivaient BDSM, sans qu’il y ait de sexualité active par ailleurs. Il pouvait y avoir des jeux érotiques mais ce sont plutôt des enjeux de pouvoir, des pratiques diverses qui ne sont pas forcément sexualisées.
Le shibari, par exemple, n’est pas forcément sexuel. On n’est pas obligé de jouer avec les zones génitales, il n’y a pas forcément de pénétration, pour autant c’est considéré comme une sorte d’érotisme, comme un art de faire à deux. Cela peut être considéré comme du BDSM non sexuel. Il y a aussi des couples qui évoluent dans une relation de dominé·e/dominant·e mais où le propre de la relation n’est pas la sexualité — ce qui ne les empêche pas de se qualifier de BDSM.
Quelles sont les règles de base pour aborder sereinement ce monde ?
Cela passe beaucoup par la parole. Il faut que les limites soient posées : jusqu’où on va, qu’est-ce qu’on fait, de quoi on parle. Dans le BDSM, les pratiques sont extrêmement variées : il faut donc se mettre d’accord, en particulier sur la terminologie et le sens des mots. Si on parle d’une relation dominé·e/dominant·e par exemple, que signifie être dominé·e, que signifie être dominant·e ? Et dans quel cadre : est-ce qu’on est dans une pratique contractualisée dans le quotidien (c’est le cas de certains couples), où toute l’organisation du quotidien va être codifiée et organisée autour de ces règles-là ? Est-ce que c’est une pratique plus orientée sur la sexualité, sur l’intime ? Comment on entre dans la bulle et comment on en sort ?
Certains pratiquants parlent de « sub-space », pour signifier ce qui se passe dans le moment repéré comme étant dans la bulle de jeu, dans la pratique BDSM. C’est un moment où on est dans la conscience, mais où il y a aussi énormément de lâcher-prise. Ce lâcher-prise est permis parce que les règles, le cadre et les limites sont posés. On parle souvent de « safe word », de « geste safe », qui permettent de réguler jusqu’où on peut aller.
La communication est vraiment l’ingrédient numéro un pour des pratiques BDSM réussies : la communication, le consentement et le fait de s’aligner sur la signification des termes. C’est une co-construction avec les espaces de chacun·e, afin de respecter au mieux les envies et les limites de son ou sa partenaire.
Pourrait-on s’inspirer de cette contractualisation du consentement, même pour du sexe dit « vanille » ?
Dans le BSDM, il y a cette communication en amont, mais souvent ce que qu’on recommande aux gens qui commencent à pratiquer, c’est qu’il y ait aussi un espace après, où on débriefe ce qui vient de se passer.
Cette force du débrief, cette communication en amont et en aval, tout le monde devrait s’en inspirer. L’intime, qu’il soit vanille ou pas, nécessite qu’on pose des mots, qu’on reprécise certaines choses. Cela peut permettre d’ouvrir d’autres perspectives, de se dire ce qui était bien, ce qui était bon, et ça a une grande valeur dans la communication érotique. On devrait tou·te·s s’en inspirer, clairement.
Si les milieux BDSM sont plus attentifs à ces questions, c’est, je pense, parce que quand on a des pratiques qui sont « hors normes », il y a plus de choses à déconstruire pour aller vers une sexualité différente de ce qu’on apprend. Parce qu’on peut être stigmatisé·e ou jugé·e par certaines personnes, on est déjà plus outillé·e et armé·e sur le fait de parler de ces choses-là.
On n’a pas trop l’habitude, quand on est jeune, de remettre en question la sexualité dite « normale », qu’on considère comme un rapport entre un homme et une femme, avec des préliminaires, une pénétration et une éjaculation qui signe la fin du rapport. On arrive tou·te·s à une forme de déconstruction au fil de ses expériences et de ses rencontres, mais c’est ça la norme. Donc des pratiques sexuelles différentes ou plus marginales, comme le BDSM, vont impliquer, chez des personnes qui s’en saisissent, des espaces de réflexion plus développés en amont.
Paradoxalement, le BSDM peut-il être une forme de féminisme ?
C’est une question compliquée et qui revient souvent. Beaucoup de femmes s’interrogent : « J’aime être dominée au lit, et pourtant je suis féministe… » Pour moi, ça ne s’oppose pas. Encore une fois, si c’est parlé, c’est consenti. Et si c’est consenti, alors on n’est pas écartelée entre ses convictions et le fait de prendre du plaisir. Comme le sexe c’est aussi du jeu, on peut jouer des codes sociaux et sociétaux dans un espace intime… à partir du moment où c’est formalisé. Poser des mots, ça apaise ce qui semble être des contradictions alors que ça n’en est pas.
Y a-t-il une libération de la parole et des corps autour des pratiques BDSM ?
Dans les milieux initiés, il y a toujours eu des espaces de rencontre et de discussion entre gens qui pratiquent, justement pour faire les choses bien et être attentif·ve à la question du consentement. Dans le milieu un peu plus mainstream, il y a eu un « effet Fifty Shades of Grey ». Même si tout le monde s’accorde à dire que ce n’est pas ça le BDSM, ça a rendu plus visibles, et peut-être plus admises, certaines pratiques qui pourraient être associées à du BDSM. Mais je crois que c’est très réducteur pour la communauté, et les gens qui pratiquent ne se reconnaissent pas vraiment là-dedans.
Car le BDSM, c’est toute une culture qui est beaucoup plus ancienne. Il y a Histoire d’O de Pauline Réage (1954), ou encore La Vénus à la Fourrure de Sacher-Masoch (1870). Et bien sûr on peut remonter jusqu’à Sade. Rien que la littérature montre que ce sont des pratiques et des rapports qui existent depuis très longtemps. Ce sont des univers qui ne sont pas inintéressants à aller explorer, car on y rencontre des personnes intéressantes, qui nous parlent de leur parcours, de leurs désirs, de leur couple…
Recevez-vous en consultation des couples qui ont envie de se lancer dans le BDSM ?
J’ai surtout affaire aux interrogations de certaines femmes, qui se surprennent à être attirées par des pratiques plus hard dans leur consommation de porno et qui se demandent si elles sont « normales ». Je les rassure et je travaille avec elles sur cette question de la norme. Parfois on me demande aussi comment communiquer à l’autre ses envies de pratiques BDSM. C’est difficile de parler de ses fantasmes, surtout quand on en a honte ou que c’est un peu tabou.
J’invite toute personne qui aimerait aller vers ces pratiques à bien réfléchir à ses envies et à ce qui lui plaît à elle, afin de pouvoir exprimer son ressenti et ses besoins à l’autre. La communication peut prendre plusieurs formes : verbale, non verbale, par écrit, en lisant ou en écoutant des choses ensemble pour se sensibilier à certains sujets… Inviter son ou sa partenaire dans son monde fantasmatique, ça permet parfois de faire naître un intérêt. Il y a beaucoup de ressources sur Internet : des blogs, des podcasts, des espaces d’échange… Donc on peut tout à fait se lancer de manière autonome si on est prêt·e à faire des recherches.
La représentation qu’on a de la sexualité joue. On nous dit que la sexualité c’est bien, c’est beau, c’est rose… On ne nous apprend pas que l’humiliation ou la contrainte, si c’est bien encadré, ça peut être excitant. Parce qu’a priori ça ne l’est pas, sauf si c’est encadré et que c’est un jeu. Car le BDSM, et la sexualité en général, c’est avant tout un jeu.
Illustration : Camille Joblin (@camillejoblin)
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