Rencontre avec Cathline Smoos, « the VR Sexologist »

Par Tom

Cathline Smoos est psychologue et sexologue de formation. Depuis son cabinet à Lyon, cette exploratrice du cyberespace défriche les nouveaux horizons virtuels de la sexualité. Faire l’amour à l’Océan, échanger son corps avec celui de son/sa partenaire… elle nous raconte le sexe du futur.

Bonjour Cathline. Tu te définis comme « VR Sexologist », qu’est-ce que ça veut dire ?

Ça fait plusieurs années que j’utilise la réalité virtuelle dans mon travail. Par exemple, j’ai un « cabinet virtuel » dans lequel je reçois certain·e·s patient·e·s. Contrairement à une consultation en visio-conférence, la VR permet de mieux sentir la présence de la personne, et le fait d’être caché·e derrière un avatar aide à libérer la parole.

J’ai également créé une thérapeute virtuelle, ce qui permet à mes patient·e·s d’extérioriser des choses difficiles à dire devant un·e sexologue, et au final de devenir leur propre thérapeute.

La cyber-sexualité, qu’est-ce que c’est ?

Tout ce qui touche à l’utilisation de la technologie au sein de la sexualité. Les sextoys ou le sexe par téléphone, c’est déjà de la cyber-sexualité. Mais bien sûr on pense surtout à la réalité virtuelle.

Dans tous les cas, le plus important c’est le storytelling. On le voit bien avec le sexe par téléphone : si on se contente de se masturber à distance, rapidement on se fait chier. Avec un avatar dans un monde virtuel, il y a un vrai sentiment de présence qui doit être couplé à une histoire pour se plonger complètement dans un fantasme.

Pour mon travail, j’utilise beaucoup le logiciel Virt-a-Mate qui permet de créer des scènes en 3D pour la réalité virtuelle. Il y a une communauté de plus de 12 000 membres qui se partagent des modèles de personnages. Mais attention, ce n’est pas pour les novices : il y a un tutoriel de 18 heures pour apprendre à maîtriser le logiciel !

À part ces quelques initiatives, il y a malheureusement encore peu d’offre. Il existe du porno en VR mais il reproduit souvent les mêmes codes sexistes que le porno mainstream. C’est pour ça que je suis en train de développer ImbueVR, un jeu érotique pour les couples, avec plusieurs histoires mêlant réalité virtuelle et sensualité réelle (caresses, nourriture, etc.)

Mais les technologies de VR sont encore balbutiantes et il faut accepter que ça ne soit pas forcément parfait au début. Parfois les avatars buguent : crois-moi, quand tu es à fond dedans et que l’avatar de ton partenaire commence à avoir un bras qui lui passe à travers la tête, ça fait bizarre ! (rires)


Comment en es-tu venue à expérimenter avec les nouvelles technologies ?

Je n’étais pas du tout branchée tech à la base. Un jour j’ai lu Les robots font-ils l’amour ?, un très mauvais livre d’une des personnes que je déteste le plus au monde, à savoir Laurent Alexandre [médecin créateur du site Doctissimo, polémiste et futurologue]. La vision du futur de la sexualité qu’il véhicule m’a donné envie de vomir et c’est pour ça que j’ai eu envie d’aborder la cyber-sexualité de manière plus positive.

J’ai ensuite rencontré Aurélien Fache, qui est développeur et « API artist ». Avec lui j’ai travaillé sur le projet « In Bed With Ocean », qui utilise les données en temps réel des courants marins pour contrôler un sextoy et à l’aide de la réalité virtuelle, donner l’impression de faire l’amour à l’Océan. Toutes ces expérimentations que l’on fait ensemble, c’est un hobby pour nous. Dans le milieu de la VR, tout le monde est super enthousiaste et vraiment passionné : on est une bande de gamins qui aime se raconter des histoires !


La pandémie et le confinement ont-ils suscité un regain d’intérêt pour le sexe virtuel ?

On ne m’a jamais autant demandé d’interviews qu’en 2020 ! (rires) Il y a quelques années, la cyber-sexualité ça n’intéressait personne en dehors de notre petite communauté de « chelous ». Mais avec la crise sanitaire, tout le monde commence à réaliser que la technologie et plus spécifiquement la réalité virtuelle, permet d’établir une connexion avec des gens même en étant seul·e chez soi.

Cela ne concerne pas que le sexe. La VR permet également de jouer à des jeux, de voir des films ou d’assister à des concerts. Par exemple, l’édition 2020 du Burning Man a eu lieu en VR et Jean-Michel Jarre a donné un concert virtuel à Notre-Dame pour le Nouvel An. Dans mon travail, on fait souvent des réunions dans des mondes virtuels, avec des avatars fantaisistes. Il y a un sentiment de présence et de proximité qu’on ne retrouve pas avec Zoom : la technologie permet de rompre ce sentiment d’isolement que nous connaissons toutes et tous.

« Les gens ont peur des robots, mais ils baisent comme des robots ! »

Comprends-tu que certain·e·s puissent être réticent·e·s face à ces nouvelles manières de faire l’amour ? Y a-t-il un risque de déshumanisation ?

Il y a toujours eu des inquiétudes face au progrès technologique. Mais il faut dépasser ces peurs primaires et le voir comme un moyen d’ouvrir sa sexualité. La technologie offre une possibilité de communier avec l’autre et d’amplifier ses relations sexuelles, souvent limitées par la routine ou les tabous. Les gens ont peur des robots, mais ils baisent comme des robots ! (rires)

La cyber-sexualité répond également au besoin d’affection de personnes qui ne se sentiraient pas à l’aise dans le monde réel, parce qu’elles y subissent du harcèlement ou bien que leur corps n’est pas conforme aux normes de la société. À travers un avatar, on peut être qui l’on veut. Ces « no life » ont au contraire une vie sociale très riche dans les mondes virtuels où ils peuvent explorer l’amour ou la sexualité.

« La réalité virtuelle a ouvert une porte dans ma sexualité que je n’ai pas envie de refermer. »

Une fois qu’on y a goûté, est-ce qu’on peut s’en passer ?

Honnêtement non ! (rires) La réalité virtuelle a ouvert une porte dans ma sexualité que je n’ai pas envie de refermer. Elle m’a permis de découvrir des sensations que je n’avais jamais connues auparavant, de développer mon imaginaire. Dans mon couple, c’est un espace d’expérimentation où l’on peut jouer autrement, sans chercher à tout prix l’orgasme ou la performance. L’artiste Chris Milk a dit que la réalité virtuelle était une « machine à empathie » : en inversant son corps avec celui de son ou sa partenaire, en explorant la fluidité des genres, on peut mieux comprendre l’autre.

Tout est possible en VR : tu peux faire l’amour dans un aquarium avec des raies mantas qui ont six pénis, ou bien dans un lit au milieu de l’espace avec un crocodile comme animal de compagnie ! Difficile d’en revenir ! (rires) Mais la cyber-sexualité ne remplacera jamais la sexualité réelle : le contact avec le corps, c’est important. Ce qui rend si spécial le sexe virtuel, c’est son côté exceptionnel et extraordinaire.

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