
Avec Supersero, Nicolas veut changer le regard de la société sur les personnes séropositives
Par Thaïs
Il y a quelques mois, Nicolas, 32 ans, a lancé Supersero, une association qui lutte pour la visibilité des personnes séropositives. Que ce soit via des apéros ouverts à tou·te·s, des BD mettant en scène un personnage « séropo » où en reprenant des musiques de TikTok sur son compte qui réunit déjà plus de 16.000 abonné·e·s : il donne tout pour que le regard des autres change sur les séropositif·ve·s.
Le Point Q : Comment as-tu appris que tu étais séropositif ?
« Je voudrais déjà marquer un point avant tout : je sais que ce n’est pas la question que tu m’as posée, mais c’est essentiel. Quand tu es séropositif, les gens te posent souvent cette question très indiscrète : “Comment tu l’as attrapé ?” Et ça, c’est très violent, à cause du schéma que les gens ont dans leur tête : soit par la mère, soit parce qu’on est toxico, soit “qu’on l’a bien cherché”. T’as envie de répondre à la personne : “Bah à ton avis ?” On te responsabilise d’emblée là où c’est un accident.
Mais la question qu’on ne te pose pas c’est comment le corps médical a réagi et comment on nous impose de réagir. Ça c’est très tabou, car même si tu fais tout pour le vivre bien, selon les époques, selon ton entourage et le médecin avec qui tu tombes, on peut tout faire pour t’imposer de le vivre mal. Moi on m’a dit de surtout ne le dire à personne. Quand j’ai dit que ça allait, on m’a tout de suite encouragé à aller voir un psy : c’était inconcevable.
Pour revenir à la question initiale : je l’ai appris alors que j’étais parti m’installer à Montréal, il y a environ 11 ans. J’ai voulu me lever un matin et impossible, à cause d’une labyrinthite (infection de l’oreille interne, NDLR). Impossible de marcher pendant plusieurs mois à cause d’une connerie attrapée lors d’une primo-infection. J’ai été rapatrié en France en urgence, testé. Le laboratoire m’a simplement dit “c’est très grave” mais il refusait de prendre la responsabilité de m’en parler, idem pour le médecin remplaçant. Puis on me l’a appris à l’hôpital. À part la docteure qui me l’a annoncé, on ne m’a jamais donné les bonnes informations, on te donne des informations dignes d’un cours de biologie, où tu ne comprends rien. Et on oublie de te dire l’essentiel : ’’Vous n’allez pas mourir ; aujourd’hui, sous traitement, vous pouvez avoir des enfants et vous ne mettez pas les gens en danger.’’ »
« Quand j’ai dit que ça allait, on m’a tout de suite encouragé à aller voir un psy : c’était inconcevable. »
Quel est le poids du regard social quand on apprend qu’on est séropositif ?
« Être séropositif, c’est comme… être le seul homosexuel sur terre, tu te sens tellement seul. Il y a dans la pensée collective des gens, le fait qu’on ne connaisse pas de séropositif·ve, que ce soit presque un mythe. On parle du VIH et de la prévention mais pas des personnes qui sont séropositives, on a peur de quelque chose d’invisible. Et une fois que tu l’attrapes, ça crée de la paranoïa, du déni… Tu tombes dans un trou noir, sans aucune information ni repères.
Et pourtant tu es toujours la même personne. »
Qu’est ce qui contribue à ce « trou noir » ?
« C’est le poids de la responsabilisation qu’on te met, comme si un accident ne pouvait pas arriver. Comme si c’était forcément de ta faute.
On nie aussi une réalité autour du VIH, c’est que celles et ceux qui ont le plus de chance de l’attraper, les hommes passifs ou les femmes, c’est pas eux qui mettent le préservatif. Et des fois, les autres ne veulent pas en mettre, et sont un peu insistants. Tu essayes de dire non une fois, deux fois… quatre fois, puis au bout d’un moment au lieu de t’énerver tu subis. C’est compliqué de mettre des barrières avec l’autre.
Les gens ont aussi une vision anachronique du VIH. C’est lié au fait que c’est une représentation du sida datant des années 90 qui prime en ce moment, et que notre génération a toujours l’image du sida et du VIH comme tels, via des films comme 120 battements par minute par exemple. Alors qu’avoir le VIH aujourd’hui, ce n’est pas ça.
D’ailleurs on a parfois du mal à se comprendre car ils n’ont pas la même réalité. Parmi ceux des années 90 qui n’arrivent pas à passer le deuil du survivant, certains ne comprennent pas qu’on se plaigne, parce qu’on a un traitement, parce qu’on peut avoir des enfants et vivre presque normalement. »
« Tu as ce genre de violence quand tu deviens séropositif : tu es seul. »
C’est l’objectif de ton association, aider les gens à sortir de ce « trou noir » ?
« Je me suis rendu compte de toutes les discriminations autour et de toutes les personnes qui refusent d’agir. On ne peut pas avoir de prise de conscience tant que les séropositif·ve·s ne se rencontrent pas, pour pouvoir comprendre ce qui nous arrive et dans quoi on s’inscrit.
J’ai créé l’asso dans l’objectif que les séropositif·ve·s essayent de comprendre ce qui leur arrivait collectivement. J’organise des réunions apéros ouvertes à tou·te·s, j’essaie de faire des petites vidéos pour présenter certains acteurs liés au VIH comme les services et les associations, j’ai aussi le compte TikTok, le compte Instagram, la BD, l’accompagnement des personnes via les réseaux sociaux, pour qu’elles ne soient pas seules.
C’était important pour moi de devoir en parler ouvertement. Et même avant l’asso, quand j’avais annoncé ma séropositivité sur Facebook, j’avais eu des messages de soutien mais je m’étais aussi fait insulter et menacer de mort — ou encore en boîte de nuit je me faisais traiter de “sale sidaïque”.
En à peine deux mois, 10 personnes ont fait leur coming out séro, des dizaines de personnes me contactent, beaucoup parce qu’elles m’expliquent n’avoir jamais rencontrer d’autres séropositif·ve·s.
Il y a à peine deux semaines, j’ai reçu un message d’un papa hétérosexuel célibataire avec 3 enfants, qui n’a jamais rencontré d’autres séropositif·ve·s alors que ça fait 5 ans qu’il l’a appris… Et qui est complètement dépressif, plus de femme, plus de sexualité, qui a arrêté son traitement. Il m’a dit qu’il se laissait crever. Tu as ce genre de violence quand tu deviens séropositif : tu es seul. »
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Qu’est-ce qu’il faudrait changer pour éviter cette violence ?
« Il faudrait ne pas se limiter à “protégez-vous, protégez-vous, protégez-vous”, mais dire aussi aux gens : “Si jamais ça vous arrive, il y a un traitement, vous n’êtes pas seuls.”
Car d’un côté tu as des gens qui vivent une prévention et une angoisse, et de l’autre ceux qui vivent une réalité. Il faut retirer la honte, le silence intégré selon moi à cause de la forme de la prévention actuelle. J’aimerais que ce soit plutôt de l’information.
Tant qu’il y aura des routes, il y aura des accidents ; tant qu’il y aura du feu, il y aura des incendies ; et tant qu’il y aura une sexualité, des IST. C’est pour ça que pour moi il faut changer le mot “responsabilité” par “principe de précaution” : pas responsable, mais au courant des précautions à mettre en place.
Il faut aussi protéger les personnes séropositives, en donnant plus de représentation. Il faudrait voir plus de séropositif·ve·s dans les médias, les séries, que des célébrités séropositives prennent la parole, chanteurs, acteurs, politiques… Des séropositif·ve·s d’aujourd’hui qui vivent bien et vont bien pour montrer notre vrai quotidien, sans que ce soit un sujet, mais pour qu’on puisse l’intégrer dans notre quotidien, qu’on puisse le penser. »
« Ce n’est pas parce qu’on veut se rendre plus visibles qu’on incite les gens à devenir ce que l’on est. »
Mais cela ne risquerait pas aussi de « normaliser » le VIH au détriment de la prévention ?
« Ce n’est pas parce qu’on veut se rendre plus visibles qu’on incite les gens à devenir ce que l’on est. Et, surtout, l’épidémie du VIH ne se fait pas par ceux qui acceptent leur séropositivité : ceux qui l’acceptent, ils ont un traitement et ne sont pas contagieux. L’épidémie elle est portée par ceux qui se disent séronégatifs alors qu’ils sont séropositifs, qu’ils l’ignorent ou qu’ils le sachent et fassent un déni. Ce n’est pas une identité d’être séronégatif, c’est un état, après une sérologie, à un moment donné.
Le plus important pour les séropositifs, c’est de montrer qu’on n’est pas seul. Et ce n’est pas que vous qu’on défend, mais aussi les séronégatifs qui pourraient être dans la même situation un jour.
J’espère en tout cas réussir à aider à penser différent le VIH, montrer aux gens que c’est possible d’en parler et qu’ils ne sont pas seuls. Qu’on est ensemble et que le jour où on arrivera à être plus visible on pourra se rencontrer, et même faire appel à des célébrités pour nous parrainer ! »
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