Rencontre avec la street artist Mars.L Clito

Par Thaïs

Depuis qu’elle a compris, bien tardivement, ce qu’était exactement un clitoris, la street artist Mars.L Clito n’a qu’une envie : les exposer partout dans la ville, pour que plus personne ne comprenne si tard à quoi ressemble et sert cet organe dédié au plaisir. Le Point Q est parti à sa rencontre.

Une curieuse figure vient d’apparaître sur les parois ternes du belvédère de Belleville, dans le XXe arrondissement de Paris. Elle ressemble à un cœur renversé avec deux trous au centre et surmonté d’un petit gland replié sur lui-même. À l’intérieur du « cœur », on reconnaît une peinture de Michel-Ange : deux chérubins du plafond de la chapelle Sixtine.

Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas reconnue, l’étonnante forme est en fait un clitoris, l’organe du sexe féminin totalement dédié au plaisir. Et il vient d’être collé ici par la street artist féministe Mars.L Clito. Que ce soit ici, devant cette place fréquentée où s’étend tout Paris, dans une petite ruelle sombre de la colline de Ménilmontant, ou à côté d’autres œuvres féministes… Ce soir, elle rhabille les murs parisiens de dessins de clitoris dans lesquels elle a imprimé de célèbres œuvres d’art.

Une façon bien à elle de redonner à cet organe de jouissance sa juste place. Le clitoris, elle ne l’a découvert qu’il y a quelques années, à 21 ans. Ce qui l’avait rendue furieuse. « J’ai appris ce que c’était exactement grâce à un numéro spécial de Causette qui lui était dédié. Après cette lecture, j’étais hors de moi : on m’avait caché si longtemps cet organe dédié au plaisir. C’est là que j’ai commencé à vouloir le mettre partout. »

Après avoir cogité pendant trois ans, elle a l’idée de customiser un clitoris avec un tableau de Mondrian et réalise son premier collage, butte Montmartre. Nul besoin de le chercher, il a sûrement disparu depuis longtemps — la rue est un musée très éphémère. Mars.L Clito continue de les répandre dans la capitale, avec les nombreuses œuvres qui ont rejoint sa palette de clitoris, de Gustave Klimt (le « Klimtoris ») à Léonard de Vinci.

« Ces œuvres sont partout, en contraste avec le clitoris, qu’on ne voyait nulle part. »

La street artist a choisi d’utiliser des peintures célèbres pour une raison bien précise : « Les œuvres d’art, c’est un moyen d’attirer le regard, grâce à des images collectives que tout le monde connaît. »

Parmi les œuvres qu’elle utilise pour ses clitoris, beaucoup sont réalisées par des hommes, dont certains très décriés par les féministes. Un contraste qui finalement lui plaît : « Il y a quelque chose de jouissif à enfermer Picasso dans ce qu’il a tant fait souffrir. »

Pour elle, c’est aussi un moyen de rétablir un certain équilibre : « Ces œuvres sont partout, en contraste avec le clitoris, qu’on ne voyait nulle part. Pour moi, le clitoris a autant sa place dans un musée que la Joconde. »

Mieux vaut coller le matin

Et quel meilleur musée que celui à ciel ouvert et accessible à tou·te·s que Paris, qui s’offre à elle ce soir de septembre. Avant de partir, Mars.L Clito attrape sur sa table une pochette transparente dans laquelle les clitoris qu’elle s’apprête à coller sont soigneusement rassemblés. Puis elle sort un gros pinceau à brosse ainsi qu’un tupperware qu’elle remplit de colle à papier peint fraîchement préparée. Elle s’empare également d’un masque et d’un bonnet — pour rester anonyme sur les photos — et glisse le tout dans un tote bag, hors de la vue des passant·e·s suspicieux·ses.



Il est 21 heures, « pas un horaire idéal pour coller, mais on va trouver », sourit-t-elle. Mars.L Clito a plutôt l’habitude de faire ses sessions collages très tôt le matin, sur le coup de six heures. Le street art reste une pratique à la frontière de la légalité, et certaines rencontres sont à éviter. Elle ne s’est encore jamais fait arrêter par la police, mais est déjà tombée sur des riverain·e·s ennuyé·e·s. « Ils disaient que ça faisait un peu “zone”, que ça attirait de mauvaises fréquentations dans le voisinage », se souvient-elle.

Après quelques virages pour s’éloigner de la clameur du soir, Mars.L Clito trouve l’endroit idéal pour son premier collage de la soirée : les parois d’une petite ruelle en escaliers, où elle pense reconnaître une peinture murale de l’actrice féministe Adèle Haenel — « j’ai envie de croire que c’est elle en tout cas, en train de crier “La Honte” aux César ».

La colleuse ne réfléchit pas toujours aux emplacements de ses clitoris, mais l’idée lui plaît. Elle tâte le mur devant elle. « C’est un peu rugueux, mais ça devrait aller », commente-t-elle avant de sortir son gros pinceau brosse enduit de glue et de fixer en quelques secondes sur le mur un clitoris bleu encerclant une fraction du Jardin des délices de Jérôme Bosch.


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Collage réalisé le 8 mars 2020. « C’est un de mes collages préférés, j’avais choisi de mettre cette profusion de clitoris avec uniquement des tableaux de femmes aux regards très perçants. »


Elle range rapidement sa colle et son pinceau, retire son masque chirurgical et son bonnet qu’elle avait mis pour les photos. Ça fait un peu justicier masqué. « Parfois pour rire, je me compare à Batman, lance-t-elle avec un sourire. Comme lui, je combats une injustice en faisant un truc illégal, je fais justice au clitoris en lui redonnant sa place, partout. »

Pour son prochain « forfait », elle choisit une ruelle mal éclairée un peu plus loin, aux murs couverts de street art et collages en plus ou moins bon état. Mars.L Clito y reconnaît plusieurs œuvres de ses amies et street artists qu’elle admire. Elle saisit cette fois le clitoris avec l’autoportrait de Courbet — ce peintre à qui l’on doit L’Origine du monde, célèbre tableau représentant une vulve, très provocant pour son époque, fin du XIXe siècle, et qui fait encore polémique aujourd’hui.

Les clitoris de Mars.L Clito, eux aussi, ont parfois été décrits comme « violents » et « provocants », mais dans la majorité des cas les retours qu’elle reçoit sont extrêmement positifs. « On me dit souvent : “ah mais ça ressemble à ça ?!”. J’ai eu notamment beaucoup de retours et d’encouragements de la part de femmes d’un âge avancé ; certaines ne savaient pas du tout à quoi ça ressemblait ! »

Car contrairement aux graffitis de pénis, qui hantent tant de tunnels routiers, tables d’écoliers ou rames de métro, les représentations de clitoris sont rares. Dans l’espace urbain, mais pas seulement. « Quand je me suis lancée, il y avait avant tout une visée pédagogique : montrer à quoi il ressemble et faire le travail que les manuels scolaires n’ont jamais fait. »

« L’objectif, c’est d’attirer l’œil nonchalant du passant, pour qu’au fur et à mesure cette image entre dans l’inconscient collectif. »

Mars.L Clito lie ce combat à ses convictions féministes. Selon elle, la méconnaissance du clitoris reflète également une trop grande inégalité dans l’éducation sexuelle et la sexualité qui en découle. « On nous cache ça alors que nous aussi, nous avons un corps érectile quasiment aussi grand que le pénis (la partie interne du clitoris, NLDR), qui permet d’avoir une sexualité sans pénétration : ça induit une certaine “égalité” sexuelle. Trop longtemps, le plaisir féminin avait quelque chose de honteux. Tout le monde sait qu’à 13 ans les garçons ont des gaules matinales, même les filles, alors que nous à 13 ans, on doit tout découvrir toutes seules. »

Sauf que sur le clitoris-Courbet que Mars.L Clito vient de coller, ne figure aucune explication ou indice qui pourrait renseigner sur ce dont il s’agit. Les passants qui s’arrêtent dessus n’ont aucun moyen pour savoir qu’il s’agit d’un clitoris. « Parfois les gens se disent “c’est un cœur” ou “c’est une fleur” », s’amuse-t-elle. Mais cette absence d’indications a du sens pour la street artist : « L’objectif, c’est d’attirer l’œil nonchalant du passant, pour qu’au fur et à mesure cette image entre dans l’inconscient collectif. »



Une façon de se réapproprier un espace public et urbain, dans lequel les femmes ont beaucoup moins de place que les hommes. Face aux graffitis de pénis déjà, mais aussi de manière plus générale sur les murs de Paris.

Un combat qu’elle partage avec d’autres street artists féministes, rencontrées lors d’une table ronde sur le thème et avec qui elle organise régulièrement des sessions collages. Il y a par exemple Marquise et ses collages militants et poétiques, ou encore Vic Oh qui dessine des vulves stylisées.

Ce soir, alors qu’elle colle son dernier clitoris de la soirée au sommet du belvédère de Belleville, elle se souvient de l’une de leurs dernières sessions dans le quartier : « On n’a pas de nom, mais l’une d’entre nous nous a appelées “les puissantes” une fois, j’ai adoré. Car je me sens si forte avec elles : quand on va coller, il y a un côté “gang”, façon “quand on arrive en ville”. C’est si rare de ressentir ça en tant que femmes dans l’espace public. »


Belvédère de Belleville, mercredi 29 septembre


Vous pouvez retrouver le travail de Mars.L Clito sur son compte Instagram ou en ouvrant l’œil dans les rues de Paris, en particulier à la Butte-aux-Cailles, près de Montmartre ou sur la colline de Ménilmontant, où ils sont encore tout fraîchement collés.

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