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Rencontre avec Anna, asexuelle, qui raconte son quotidien sans tabou sur TikTok
Par Orianne
Comment se passe ta vie de couple ? Est-ce que vous avez des rapports sexuels ? Est-ce que tu ressens des sentiments amoureux ? Visage pétillant, lunettes rondes surdimensionnées et cheveux châtains recouvrant sa poitrine… Le 27 juillet, @anna_inparis reprend une chorégraphie phare sur Tik Tok, avec en légende : « Les questions qu’on me pose quand on apprend que je suis asexuelle ». 49.000 vues.
Cette étudiante de 23 ans en arts appliqués, qui rêve de faire carrière dans la mode, anime aujourd’hui le compte français le plus suivi sur l’asexualité. Elle se définit comme « panromantique » (elle peut tomber amoureuse de tout le monde), et elle est en couple exclusif avec Thomas* depuis trois ans.
Au Point Q, elle a accepté de raconter son histoire : ses nombreuses relations amoureuses dès l’enfance, sa découverte de l’asexualité, ses doutes, la création de son compte TikTok. Avec toujours une idée en tête : visibiliser cette orientation sexuelle encore méconnue.
Une vie amoureuse bien remplie
Très tôt, dès l’école maternelle, Anna a eu des amoureux : « C’était un peu le centre de ma vie, au détriment du reste. Depuis la 3ème, je n’ai pas passé un seul mois toute seule. En fait, tout ce que je n’ai pas côté sexuel, je l’ai en amour. Petite, je n’allais pas très bien, j’avais besoin de quelqu’un avec qui tout partager. »
Plus tard, elle a eu une dizaine de relations sérieuses, mais qui ne fonctionnaient pas du fait de son asexualité : « Au moment où la tension montait, où je sentais que l’autre s’échauffait, moi je ressentais de l’angoisse et du dégoût. C’est vraiment devenu un malaise. »
« Pendant des années, j’ai pensé que j’étais cassée. »
Une première relation platonique
Sa première histoire a été vraiment passionnelle. Elle a duré 8 ans, de la 5ème au lycée. Iels ne se sont vu·e·s que quelques fois, tous les deux ans. Ce garçon, c’est le premier grand amour d’Anna : « Je l’appelais mon âme sœur. Ce n’était pas descriptible. Il m’écrivait des poèmes. » Leur relation reste platonique puisqu’ils ne s’embrassent pas. Aujourd’hui, elle pense que lui aussi était asexuel.
La rencontre avec Thomas*
Quelques années plus tard, lors d’un stage, elle rencontre Thomas*, l’un de ses supérieurs. Elle a 19 ans et lui 30. Au début, il n’est pas très agréable avec elle, mais elle décide de « lui mettre le grappin dessus ». « De clope en clope, on a commencé à se voir en dehors. »
Un soir, elle prend un verre avec lui jusqu’à 3h du matin. « Il m’a dit : “Je ne sais pas trop quoi faire, j’ai vraiment envie de t’embrasser” ». Anna lui explique qu’elle est en couple mais que ça ne va plus très bien. Tous les soirs, elle fait des crises d’angoisse. Thomas* lui propose d’aller chez lui. Anna accepte, sans arrière-pensée puisqu’elle ne ressent pas de désir.
Là-bas, il ne se passe rien de sexuel. « Il était très respectueux. » Thomas* la prend dans ses bras, ce qui normalement ne plaît pas vraiment à Anna, qui n’est pas tactile. Mais là, c’est différent : « Je me suis sentie bien. Je me suis dit : “Whaou, je tiens quelque chose.” »
À 21 ans, elle met des mots sur son asexualité
Depuis ses 14 ans, elle se sent en décalage avec ses partenaires, garçons et filles, lorsqu’iels font l’amour. « Pendant des années, j’ai pensé que j’étais cassée. Je me suis intéressée au vaginisme. J’ai fait dix ans de thérapie, car j’ai un passif familial qui aurait pu peut-être expliquer cela. J’ai cherché partout pour comprendre ».
À 21 ans, alors qu’elle est en couple avec Thomas*, elle ressent toujours ce rejet de désir. Elle se demande si elle l’aime vraiment. Mais en le regardant, elle se dit que oui, que ce n’est pas ça qui cloche.
Elle tombe sur un compte TikTok en anglais, qui parle d’asexualité. « Je me suis dit : “c’est moi”. Ça a été le plus beau jour de ma vie. » Et en même temps le plus « douloureux ». « Il faut l’accepter. Se dire qu’on n’aura pas de désir, et que ça ne va pas s’arranger avec le temps, que c’est immuable. »
Concilier couple et rapports sexuels
Comme elle le raconte dans ses vidéos, au début, la place des rapports sexuels dans sa relation n’a pas été facile à gérer. Thomas* est hétérosexuel et il a entretenu des relations normées avant Anna. « Il a dû composer avec ça et gérer sa frustration. »
« La chose que je répète souvent c’est de ne pas se forcer. Toute ma vie je me suis forcée, je cédais, mais ça ne marchait pas. S’offrir à quelqu’un, si on a cette phobie, c’est horrible. Ça revient à s’auto-abuser sexuellement. En fait, on rend son copain ou sa copine agresseur·se d’une certaine façon. La deuxième chose importante, c’est de communiquer et de dire quand on s’est senti·e mal. La personne ne peut pas forcément deviner ce que l’on ressent. »
« C’est totalement possible, et au final, ça donne des relations pleines d’écoute. »
Asexuelle « à 95 % »
L’asexualité d’Anna varie, mais la plupart du temps, la sexualité la repousse. Rien que l’évocation ou la vision de la sexualité lui provoquent du dégoût, une terreur presque phobique : « Même quand une amie m’en parle, ce n’est pas possible. Je trouve que la sexualité est un acte hyper primaire. Comme je n’ai pas de désir, je n’ai pas le côté instinctif du truc. »
« Je vois ça vraiment comme deux animaux qui font des trucs ensemble. »
Il arrive à Anna de donner du plaisir à son partenaire, et d’en recevoir en retour, mais cela reste rare. Il s’agit quasiment exclusivement de ce qu’on appelle les « préliminaires ». Elle a aussi quelques rapports avec pénétration, mais encore moins souvent. « Pour moi, c’est une activité comme un autre, comme de la pâtisserie ou un massage… »
Dans sa relation, le couple libre n’est pas une option, en tout cas pour l’instant. « Je n’ai pas du tout envie que quelqu’un aille donner à mon copain ce que je ne peux pas lui donner. Ce serait douloureux, et lui non plus n’en a pas envie. »
Affronter le regard des autres
Anna aimerait se marier et avoir des enfants, mais elle ne sait pas encore comment. « Je ne sais pas encore si je serais capable de concevoir naturellement ou pas. On me dit que je peux recourir à l’insémination artificielle mais c’est hors de question. Ce mot me répugne. Je ne veux pas qu’on touche cette partie-là de mon corps. »
Elle explique que sa famille a bien accepté son asexualité. « Ce qui a pu les déranger, c’est le fait que j’en parle en public, sur les réseaux. »
En revanche, dans la communauté LGBTQIA+, elle n’a pas toujours été bien accueillie. « Surtout de la part des garçons gays, car je pense qu’ils sont dans l’incompréhension. C’est un milieu, une communauté assez sexualisée. Du coup, du fait de notre position en tant qu’asexuel·le, on subit une certaine hostilité. Pour eux, on ne souffre pas de discrimination. Notre lutte n’aurait pas de sens, ce qui est faux. »
« Je me souviens d’une Pride, dans un coin avec ma pauvre pancarte, à chercher des drapeaux dans la foule… »
Toutefois, les remarques les plus violentes sont venues des amis de son copain, hétérosexuels. « Pour eux, c’était un peu la honte qu’il sorte avec une meuf qui ne baise pas. C’était complètement misogyne, déplacé, intrusif. »
Sensibiliser sur TikTok
Anna a créé son compte TikTok durant le premier confinement. Elle faisait des vidéos sur la mode, qui marchaient bien. Puis elle s’est mise à parler d’asexualité. « Au départ, je ne voulais pas devenir une figure de l’asexualité, ou un porte-drapeau, même si j’ai toujours aimé faire évoluer les mentalités. En créant mon compte, je me suis dit que si ça pouvait aider une seule personne, j’aurais gagné. Sauf qu’il y a eu bien plus qu’une personne. »
Aujourd’hui, 60.000 personnes la suivent sur TikTok, et elle gère le plus gros compte de France sur l’asexualité. « La chose primordiale que j’ai envie de partager aux gens, c’est que si ça leur parle, qu’ils se sont déjà posé des questions sur l’asexualité, je veux leur dire qu’ils ne sont pas seuls. On est des centaines, des milliers. Un jour viendra, où on pourra se rassembler. »
« Un jour, ce ne sera plus anormal de ne pas faire l’amour. »
* Le prénom a été modifié.