Parler plaisir entre quatre murs

Bienvenue dans ce nouveau numéro du Point Q !

Un petit bijou qui te plonge dans l’univers du sexe et démystifie l’inconnue nommée « plaisir ». Tous les lundis, on débusque ensemble des fake news, on parle santé sexuelle, culture érotique, sexualité queer. On échange sur les nouvelles manières de faire l’amour en 2020.

Cette septième semaine est un peu spéciale. Déjà, on voudrait saluer les 150 petites nouvelles et petits nouveaux qui nous ont rejoint depuis lundi dernier. On est ravi·e·s de vous compter parmi nous, c’est signe qu’on ne dit pas que des bêtises (même pas du tout). On vous promet que l’aventure sera belle et instructive. Vous verrez, ici on est bien… demandez aux anciens.

Actualité oblige, on a envie de vous parler de sexe confiné, et de la manière dont vous vivez ce deuxième round entre quatre murs. Mais on voulait aussi vous faire rencontrer les princesses (et les quelques princes) d’Instagram, qui ont initié ce fabuleux mouvement de libération de la parole. Elles ne sont pas étrangères à la création du Point Q.

Pour notre première interview, on accueille Aïcha Abbadi, une jeune réalisatrice de 23 ans qui se cache derrière le compte** @mystereetbouledorgasme**. Au départ, c’est le titre d’un documentaire, le sien, qui vient de sortir sur la plateforme France TV Slash (disponible en replay). La jeune diplômée en audiovisuel s’est emparée du plaisir féminin, qu’elle tente de libérer des tabous. Les interviews, face caméra, sont diverses, pures et belles… Les coups de peintures et mouvement de corps sont poétiques. Vous n’avez jamais entendu ces mots à la télévision. 52 minutes à s’offrir, pour se rappeler qu’on a, toutes et tous, le droit de jouir.

Juste en-dessous, retrouvez la BD de Morgan, notre dessinateur de talent qui continue à créer depuis Bruxelles. Il vous invite, cette semaine, à explorer vos corps…

On vous souhaite une délicieuse lecture,

L’équipe du Point Q.

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« Alors ce confinement ? Sexy ? »

À deux :

Julia, 24 ans, en couple depuis trois mois : « Se dire qu’on allait se confiner ensemble, c’était un vrai coup de poker. On n’avait jamais vécu plus d’une semaine tous les deux. Résultat : on fait beaucoup l’amour. Trois ou quatre fois par jour. Je pense que c’est le piège du confinement pour les jeunes couples, on risque de toujours se câliner… Surtout qu’on n’est pas dans la même situation : il doit réviser pour un concours alors que je viens de terminer mon contrat… Donc je suis un peu le diable, je dois être raisonnable pour deux. »

Marie, 23 ans, en couple depuis cinq ans : « C’est comme lors du premier confinement, on est tous les deux hyper préoccupé·e·s (notamment moi). Cette semaine, les élections américaines n’ont pas arrangé les choses. Hier on a couché ensemble, c’était la première fois depuis dix jours alors que d’habitude on a des rapports une à deux fois par semaine… Et une vie sexuelle épanouie. Et là hier c’était cool, mais la fois d’avant c’était bof. Je crois que la période est compliquée. »

À distance :

Héloïse et Gontrand, 22 et 23 ans, en couple depuis trois ans :

G : « Pour l’instant je le vis plutôt bien. J’ai vu ma copine juste avant le confinement, donc ça va. Forcément, à un moment, on ressent un certain manque, mais on trouve des solutions. »

H : « Souvent, on pratique la masturbation chacun de notre côté : en se partageant du contenu pornographique qu’on aime bien, ou en se racontant des scénarios l’un à l’autre. »

G : « Notre couple est né à distance, donc on est habitué·e·s. La différence avec le premier confinement, c’est qu’en plus de ne pas pouvoir se voir, il y a l’idée qu’on n’en a même pas le droit. Ça rajoute un mur, mentalement, je pense. Sinon, on s’envoie des sextos oui. »

H : « C’est une sexualité qui implique d’être plus focus sur son imagination, mais plutôt épanouissante. Elle impose de se connecter à son corps et de s’écouter, et cela permet d’élargir le champ des possibles, à distance ou quand on se retrouve. »

En solo :

Léah, 24 ans, célibataire : « Deuxième confinement, j’avoue que ça va être dur… Dur de ne pas sexer. Je me dis que les couples ont de la chance, car c’est vraiment le truc qui nous reste pour se sentir un peu en vie. J’ai appelé un ami à moi, qui m’a dit aussi que c’était la galère. Il va falloir trouver des options autres que le sexe pendant ce confinement, à moins que l’amour tombe dans mon assiette. »

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Rencontre avec Aïcha Abbadi, réalisatrice de Mystère et boule d’orgasme

Par Juliette

Aïcha Abbadi, 23 ans, est née à Rabat au Maroc. Tout juste diplômée d’une école d’audiovisuel à Paris, elle a réalisé le documentaire Mystère et boule d’orgasme, sorti le 16 octobre sur France TV Slash — la plateforme des jeunes adultes de France Télévisions. Dans ce film, elle libère la parole sur le plaisir féminin et aborde ce sujet dans toute sa diversité, à travers des interviews d’hommes et de femmes de tous âges.

Elle est également aux commandes du compte @mysteretbouledorgasme, qui parle plaisir et bien-être sexuel, avec une communauté de 12 000 abonnés. Elle a répondu à nos questions depuis son pays natal, où elle est confinée.

Bonjour Aïcha. Un mot d’abord sur l’actualité. As-tu un conseil pour vivre au mieux notre sexualité confinée ?

Profiter de ce moment de solitude pour se donner du temps à soi et se reconnecter avec son corps. Au lieu de souffrir du manque de compagnie, mettre à profit cette période pour se découvrir, explorer… prendre un miroir et voir comment ça se passe au niveau de nos parties génitales. Dans un sens, je pense que ce temps qu’on a peut être positif pour se découvrir.

Ton film parle du plaisir féminin, et en particulier de l’orgasme. Pourquoi avoir choisi ce thème ?

Il y a beaucoup d’incompréhension et un manque d’information autour du sujet. On n’accorde pas assez d’importance au plaisir féminin, que ce soit en cours, dans l’éducation sexuelle ou dans la recherche scientifique, qui ne met pas assez d’argent dans les travaux sur les organes féminins. Il y a des tas de médicaments pour soigner les troubles érectiles, les pénis, mais pas autant pour les femmes.

Quand j’ai commencé à faire mes recherches, j’ai trouvé le sujet tellement vaste et beau, tout comme la diversité qui existe dans ces réalités : il n’y a pas qu’un seul orgasme féminin mais une multitude. Je ne cherchais pas un sujet pour un documentaire, c’est ce sujet-là qui m’a donné envie de faire un film.

Comment tu expliques cette différence dans la médiatisation du pénis et du vagin ?

On vit dans un monde phallo-centré. La domination masculine est omniprésente dans le patriarcat. Le pénis a toujours été plus important que le vagin. On pense qu’il est plus grand… alors qu’en fait non, le clitoris mesure jusqu’à 13 centimètres, soit la taille moyenne d’un pénis. Mais c’est le genre de chose qu’on ne sait pas, par exemple…

En quoi ce sujet raisonne dans ton histoire personnelle ?

J’ai grandi au Maroc, dans une société qui compte toujours beaucoup de tabous concernant la sexualité féminine et la sexualité en général. Ça m’a convaincue de faire ce documentaire.

Ici, les femmes sont éduquées à donner, toujours, sans demander en retour. La femme est toujours considérée comme la maman, la mariée. Notre but, c’est d’arriver au mariage, de séduire l’homme et donc de lui donner du plaisir. En tant que femme marocaine, on ne se demande donc pas quel est notre plaisir. C’est une des choses qui m’a fait réaliser qu’il y avait un problème à ce niveau.

Qu’est-ce que tu as appris avec ce film ?

J’ai tout appris. Enfin, je sais qu’il reste encore beaucoup de choses. Mais entre le début et la fin du projet, j’ai acquis quelque chose comme 70 % de connaissances en plus : j’ai appris que l’orgasme féminin c’était quelque chose d’hyper divers, qu’il n’y avait pas moyen de le théoriser. Que c’était très psychologique, qu’on peut avoir des orgasmes de 3 secondes ou 5 minutes selon les femmes… J’ai appris comment ça se passe à l’intérieur de notre corps, qu’il y a beaucoup de similitudes entre le vagin et le pénis, qui sont composés de la même matière corporelle et font la même taille. J’ai aussi appris, enfin, que la sexualité ne s’arrête pas à 75 ans…

Dans ton film, il y a des témoignages très divers… Des étudiant·e·s, des femmes ménopausées, une chercheuse, un homme sage-femme, et des militantes connues sur les réseaux sociaux comme Camille Aumont Carnel du compte @jemenbatsleclito ou Noémie de Lattre (@noemie.de.lattre). Comment as-tu choisi tes personnages ?

J’en avais déjà imaginé quelques-uns, des amis notamment qui témoignent dans le film. Ensuite, j’ai fait des posts sur Instagram. J’ai trié parmi les propositions que j’ai reçues et j’ai gardé les profils les plus intéressants. Il y a aussi des personnes, comme Noémie de Lattre, que je voulais absolument. Je suis allée la voir la fin de son spectacle de théâtre, et elle a dit oui tout de suite. C’était important pour moi de faire témoigner tous les âges, pour que tout le monde se reconnaisse d’une manière ou d’une autre.

Pourquoi est-ce essentiel aujourd’hui, de parler de plaisir féminin en France ?

Pour déculpabiliser les personnes qui ont eu des expériences traumatisantes. Une grande majorité des femmes ont intériorisé un sentiment de honte envers leur sexe et leurs relations sexuelles. C’est important d’en parler, pour faire réaliser qu’on est toutes pareilles, ça n’arrive pas qu’à toi ou à moi. (Le film parle notamment du vaginisme, des tabous sur la masturbation infantile, ou du sexe pendant les règles).

Comment évoquer le sujet avec son ou sa partenaire ?

Parfois, c’est difficile. On peut alors passer par des métaphores, plutôt que de dire à son copain ou à sa copine : « Oui alors j’aimerais que tu fasses comme ça ». Ça peut parfois blesser aussi, car on a tous notre égo. Mais aujourd’hui on a les réseaux sociaux, on peut envoyer une petite vidéo sur le sujet en disant : « Ah regarde, je trouve ça intéressant ». On peut le dire par des gestes, pendant l’acte. Et puis si on est à l’aise, on peut en parler directement, chercher à mieux comprendre son plaisir avec l’autre.

Et comment on devient à l’aise avec ça ?

Il faut essayer une fois, sans forcément l’être. Ce sera différent si ça fait longtemps que le couple est établi. C’est comme pour plein d’autres sujets, ça se passe bien si les deux personnes sont à l’aise entre elles.

Quand tu as commencé ton projet de film il y a deux ans, la libération de la parole commençait tout juste sur les réseaux. Quand tu vois aujourd’hui, les dizaines de comptes Instagram qui ont émergé sur le plaisir féminin, le corps, les règles ou l’acceptation de soi en tant que femme… Qu’est-ce que tu ressens ?

Je suis contente, c’est hyper positif. Le changement est en train de se faire. Je me rappelle à l’époque, quand j’ai débuté le projet du film (il y a deux ans), il n’y avait que @jouissance.club. Quand j’ai commencé les tournages, le compte @tasjoui est arrivé. Et petit à petit, plein de comptes ont explosé. Je me suis dit : « Bon, je ne suis pas folle, on commence à en parler. »

Ton mot de la fin ?

Allez voir Mystère et boule d’orgasme et dites-moi ce que vous en pensez. Hydratez-vous bien, méditez et, si vous le voulez, masturbez-vous, pour mieux vous connaitre.

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Sous la plume de Morgan


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Que ce confinement soit, pour toutes et tous, un moment pour apprendre, explorer, découvrir votre sexualité, seul·e ou à plusieurs. On suit les conseils d’Aïcha. On lève la voix et, comme le suggère Morgan, on s’exprime au prochain dîner de famille. Comment on lance le sujet ? « D’ailleurs, y a un bon documentaire, sur le site web de France TV… » (vous nous direz comment ça c’est passé 😘).

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Hâte de vous retrouver lundi prochain. D’ici là, prenez soin de vous,

Juliette, Orianne, Tom et Thaïs aka Le Point Q.

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