« Le savoir, c’est le pouvoir » : Rencontre avec Masha Sexplique, pionnière de l’éducation sexuelle sur Instagram
Par Maëlle
Masha Sexplique est aujourd’hui l’une des créatrices de contenu françaises les plus influentes en matière de sexualité(s) sur Instagram. Dans sa bio, elle écrit « le savoir, c’est le pouvoir » : un mantra qui anime tous ses projets depuis plus d’un an.
Le 18 février sortait Nos post-partum, un ouvrage collectif pour instruire les générations futures et « accompagner en douceur les mois de l’après-accouchement ». Dans quelques mois, elle publiera son quatrième livre Sexplorer 2, un guide bienveillant et pédagogique sur le désir, à dévorer seul·e ou accompagné·e.
Mais comment en est-elle arrivée là ? Qu’avait-elle en tête au départ, lorsqu’elle s’est lancée en 2018, alors tout juste âgée de 20 ans ? Elle nous raconte avec franchise et authenticité, ce qui l’anime au quotidien : transmettre.
Corps et anormalité supposée
« J’ai grandi avec l’idée que j’avais une vulve monstrueuse, mal formée. »
Masha s’est très tôt intéressée à la sexualité. Dès le lycée, elle parcourt les forums féminins à la recherche d’informations sur son corps. La confiance qu’elle affiche aujourd’hui sur ses vidéos TikTok n’a pas toujours été présente chez elle : « J’ai vécu des trucs pas très cool, je cherchais à sortir du complexe de la vulve pas comme les autres. J’ai grandi, malgré moi, avec l’idée que j’avais une vulve monstrueuse et mal formée. »
Elle explique que ce mal-être vient en grande partie du manque de représentations autour d’elle : « Dans le porno, dans les encyclopédies, on voit toujours les mêmes vulves — blanches avec des petites lèvres roses qui ne dépassent jamais — or elles ne représentent peut-être même pas la moitié des personnes concernées. » C’est ce qui l’amène au sujet de la sexualité : « J’ai cherché à comprendre si j’avais une maladie. »
De la découverte de la sexualité à l’envie de contribuer
Avec ces premières recherches, elle en apprend de plus en plus sur son corps. Mais neuf années en arrière, parler de sexualité de façon bienveillante était encore loin de constituer la norme : « Trouver du contenu safe sur la sexualité, c’était très compliqué. Mes seules sources étaient le site Madmoizelle, le podcast En toute intimité et la chaîne cul Pouhiou, fermée à cause du harcèlement de masse. » De forum en forum, Masha part à la découverte de sa sexualité mais aussi d’elle-même : « J’ai compris que j’adorais parler de cul, et partager avec les autres. »
« Trouver du contenu safe sur la sexualité, c’était très compliqué. »
Lorsqu’elle tombe enceinte, Masha se met à passer beaucoup de temps chez elle. C’est là qu’elle lance son blog Tout Sexplique avec l’idée de contribuer à la production d’information dans le vaste champ de la sexualité : « Je cherchais un domaine dont je ne me lasserais jamais. » La machine est lancée. Dans les mois qui suivent, elle ouvre un compte Twitter.
Premier enfant et lancement de #monpostpartum
Son premier tweet viral porte sur l’accouchement. Au moment de la cérémonie des Oscars de 2020 aux États-Unis, une publicité pour des protections hygiéniques dédiées à la période du post-partum est censurée. La publicité avait, selon elle, sa place dans l’espace public : « On est tellement dans une vision glamourisée de la maternité et du post-partum qu’en parler honnêtement, pour certains, c’est dégoûter les femmes du désir d’avoir des enfants. » Masha défend, quant à elle, le droit au savoir. « Les lochies, c’est-à-dire les règles en continu après le post-partum, c’est tout à fait normal. »
« On est dans une vision tellement glamourisée de la maternité que pour certains, en parler, c’est dégouter les femmes du désir d’avoir des enfants. »
À la suite de cette censure, la mannequin Ashley Graham publie une photo d’elle le 11 février 2020 en couche post-partum sur Instagram. « Ce post nous a inspirées, et avec deux autres créatrices de contenu, on a lancé le #postpartum en postant des photos de nous, au naturel. » Rapidement, le hashtag est relayé à grande échelle : « Le mot post-partum n’a jamais été aussi utilisé en cinq ans que depuis ce lancement. Depuis, il y a plein de livres sur le post-partum qui sont sortis, c’est une très bonne chose. »
Libido et maternité
Sur les réseaux sociaux, Masha se définit comme une « maman sans filtres » : « Avoir un bébé implique un processus physiologique : on saigne, on a des cicatrices, notre vision du corps change elle aussi. » On lui pose souvent la question du désir après l’accouchement sur les réseaux sociaux ; elle y répond avec du contenu qu’elle souhaite rassurant et éducatif. « Il ne faut pas avoir peur de l’impact sur le couple de l’accouchement, car si l’impact est réel, il n’est pas pour autant négatif. Il ne signe ni la fin définitive du désir, ni la fin du couple. »
« Il faut neuf mois pour faire un bébé et neuf mois pour s’en remettre. »
Toujours avec cette volonté de transmettre, elle lance avec une autre instagrameuse, Edwige, un atelier en ligne pour reconnecter avec sa libido : « Les principaux inhibiteurs de la libido, ce sont le stress et la fatigue. Ce qu’on constate, c’est que lorsque les parents sont investi·e·s dans l’accueil de l’enfant, la libido baisse. Seulement, souvent le modèle patriarcal fait que la femme est la seule investie, et qu’elle est donc la seule à connaître une baisse de libido. » Ces ateliers sont l’occasion de répondre aux questions de ses abonné·e·s, mais aussi d’être plus indépendante dans son mode de financement.
Parler de sexualité sur les réseaux sociaux
Ancienne étudiante en lettres modernes, Masha se définit aujourd’hui comme une « créatrice de contenu » : « Pour moi, être influenceuse c’est partager sa vie, créer un espace de divertissement, mais le terme est souvent utilisé dans les médias pour minimiser le travail des femmes sur les réseaux sociaux. Être créatrice de contenu, c’est vulgariser les informations, transmettre des connaissances, c’est ce que j’aime faire au quotidien. »
Entre pression des marques, censure et vagues de critiques, parler de sexualité sur les réseaux sociaux n’est pas chose aisée. Masha se souvient de son premier shadow ban* sur Twitter alors qu’elle avait 35.000 abonné·e·s : « Les réseaux sociaux mettent tout ce qui a trait à la sexualité dans le registre de la pornographie, ils ne conçoivent pas que ça puisse être éducatif. » Récemment, son compte Instagram a été supprimé durant plusieurs jours, avant qu’elle puisse le réutiliser : « Tu te retrouves à t’autocensurer parce que quand ton compte saute, c’est comme si on te licenciait sans aucune explication. »
Heureusement, des solidarités se développent dans ce milieu : « Entre créatrices de contenu, on parle énormément de nos relations avec les marques, de rémunération, de contrat. C’est essentiel pour savoir comment t’organiser, avec qui collaborer. » Masha peut produire un contenu accessible gratuitement sur les réseaux sociaux grâce aux marques avec lesquelles elle collabore. Elle offre régulièrement à ses abonné·e·s des réductions sur différentes marques de sextoys. Elle ne cache pas que derrière l’écran, c’est un travail souvent solitaire, réalisé dans sa chambre. D’où le plaisir de travailler à plusieurs : « C’est important de sortir un peu de la solitude. Je me suis fait une grande amie, Edwige, sur les réseaux sociaux, c’est ce qui me permet de tenir et d’être soutenue. »
* La plateforme décide de ne plus mettre en avant le contenu d’un·e créateur·rice.
● ● ●