Dans l’antre du Rocky Horror Picture Show : sexualité, débauche et affirmation de soi

Par Tom & Valentin

Au 42 rue Galande, à Paris, en plein cœur du Quartier latin, deux pancartes noires encadrées de rouge flashy contrastent avec les trois piliers en bois qui les soutiennent. Sur celle de droite : « Studio Galande ». Sur l’autre, des lèvres rouges, pulpeuses, comme une invitation à venir goûter le fruit défendu.

Il est 21h. Dans la file d’attente, une classe de lycéen·ne·s option « théâtre », des parisien·ne·s curieux·ses et des habitué·e·s. Déguisé·e·s et maquillé·e·s, on les reconnaît à leur sac à dos rempli d’intrigantes poches de riz cru. Les portes s’ouvrent et nous nous faufilons jusqu’au sous-sol, où se situe l’unique salle de ce cinéma indépendant.

Nous sommes tou·te·s réuni·e·s pour assister à la représentation, mi-cinématographique, mi-théâtrale, du Rocky Horror Picture Show : le film culte de Jim Sharman, sorti en 1975. La majorité du public, comme nous, ne sait pas à quoi s’attendre.

Et ça commence fort. Dans la petite salle d’une soixantaine de places, pas question de rester religieusement assis·es. Devant l’écran, la troupe de comédien·ne·s bénévoles No Good Kids s’active sur la scène en sous-vêtements. Iels rejouent le film qui défile derrière elleux (et dont on ne comprend pas grand-chose), enchaînent les vannes, et nous font interpréter la chorégraphie tendancieuse du Time Warp. Les mains sur les hanches et les fesses en arrière, c’est déconcertant ! Mais quel est ce film excentrique ?

Le pitch du film

Brad Majors et Janet Weiss (Barry Bostwick et Susan Sarandon dans le film) viennent tout juste de se fiancer. En chemin pour annoncer la nouvelle à un ami, iels tombent en panne et trouvent refuge dans le château du Docteur Frank-N-Furter (Tim Curry), un « transsexuel travesti de Transylvanie », comme il se désigne lui-même. Dans son logis, se tient un véritable festival de débauche et de dépravation. À partir de là, les événements deviennent de plus en plus étranges.

À la fois grand classique et film de série B, le Rocky a eu, dès ses débuts, ses passionné·e·s. Aux États-Unis, où les spectateur·rice·s sont plus dissipé·e·s qu’en France, certain·e·s se sont mis à faire des jeux de mots et à rejouer le film, devenant le spectacle. Le phénomène s’est exporté partout dans le monde, et notamment au Studio Galande à Paris.

Prendre le public par la main

Jugulus, 39 ans, joue ce soir le rôle de Frank-N-Furter. En appliquant son mascara, il reconnaît que la représentation est une expérience à part entière. « La manière dont on propose le spectacle, c’est assez unique. Le Rocky animé, ça existe partout dans le monde, mais pas de cette manière. Nous on prend par la main les spectateur·rice·s, alors que dans la culture anglo-saxonne, ce sont elleux qui font le show. »

Quelques dizaines de minutes plus tard, il parcourt la scène, en porte-jarretelles. Voilà quatorze ans que ce fou du Rocky vient presque tous les vendredis danser le Time Warp sur les planches du Studio. Comment en est-il arrivé là ? Comme pour les autres membres de la troupe, le hasard est aux manettes. « Tout le monde arrive un peu de la même manière, explique Maëlle, 26 ans, une autre comédienne. Un jour tu es dans la salle, à la fin de la séance tu donnes ton numéro, et la fois d’après tu es sur scène ! »

Jouer presque nu

Pour Thomas, dans la peau de Brad Majors ce soir, c’est une première fois. Première fois qu’il interprète le « héros » du film, après avoir enfilé le costume de Rocky (le body-buildé un peu bêta), puis celui de Riff-Raff (le majordome incestueux). Lui se retrouve en slip blanc sur scène. « Le moment le plus compliqué, c’est lorsqu’on doit se dénuder. Assumer le premier regard des autres. Après, ça va mieux. »

Il avoue avoir eu du mal à assumer son corps, mais l’expérience de jeu est pour lui une libération. « Ça permet de se rendre compte qu’un corps est un corps, qu’il est socialement construit. » Curieux, le jeune homme de 23 ans exprime même le désir d’essayer d’autres rôles. « J’aimerais bien jouer Janet, parce que c’est une femme forte qui se découvre une certaine liberté sexuelle dans le film. C’est rare d’avoir des personnages aussi forts dans les années 70. » Au Rocky, le genre n’est pas une question, tout le monde peut jouer tous les rôles.

Un show féministe ?

Marine, 29 ans, est justement la Janet de ce soir. Arrivée dans la troupe il y a trois ans, son incarnation du personnage a évolué avec le temps. « Avant, je faisais une Janet classique, comme celle du film, sans profondeur. Mais aujourd’hui je joue une Janet beaucoup plus féministe, qui a confiance en elle, et qui assume d’être une “salope”. Quand on demande au public de l’insulter, je veux montrer qu’être une salope c’est OK en fait ! »

Féministe, le Rocky ? Pour Marine, cela ne fait aucun doute. « Janet, c’est un peu un transfert de la nana hétéro cisgenre de base qu’on nous demande d’être en tant que “demoiselles”, mais qui prend conscience au cours du film que la sexualité c’est chouette, et que ça peut se faire avec des personnes chouettes, et pas seulement avec un Brad hétéro chiant. Elle s’accepte comme elle est, et assume ses envies et ses besoins. »

Ode à la libération sexuelle

Vous l’aurez compris : le Rocky Horror Picture Show est une ode à la libération des mœurs, à la curiosité sexuelle et au rejet des normes sociales. Transidentité, travestissement, et bisexualité/pansexualité sont au cœur du film.

L’hétérosexualité exclusive est remise en question. Le public est invité à se moquer ouvertement des deux « héros ». De Brad et son côté « trou du cul », coincé dans son carcan social. De Janet « Vice », cette femme qui a osé se laisser aller aux plaisirs de la chair avant le mariage, et, pire encore, tromper l’homme auquel elle s’est promise. Et en général, de nous-mêmes, coincé·e·s dans nos règles arbitraires, comme celle qui dit qu’on ne doit pas faire de bruit, jeter de riz ou danser au cinéma.

« Le Rocky c’est : sois qui tu es, fais ce que tu veux, tout le monde s’en fout », résume Maëlle. En mettant en scène côte à côte des personnages qui découvrent leur sexualité, et d’autres qui s’affranchissent des diktats de l’époque, il invite les spectateur·rice·s à découvrir une autre forme de sexualité.

Un film queer

C’est aussi, et surtout, une mise en scène de la communauté queer (au sens propre du terme : « étrange », « bizarre ») présentée comme celle qui, peut-être, détient le secret d’une vie épanouie. « Don’t dream it, be it », chante Frank-N-Furter, alors que les personnages se livrent à une orgie aquatique dans sa piscine. « Give yourself to absolute pleasure », commande-t-il encore.

Dans cette immense débauche qu’est le Rocky, on n’est jamais plus heureux·se qu’en se laissant aller. « C’est une bulle intemporelle, une bulle d’amour et de paillettes, s’enthousiasme Marine. Quand on ressort du spectacle, on a la banane. » Tout n’est pourtant pas rose dans le film, et certains passages laissent penser que le consentement n’est pas toujours au centre des préoccupations des personnages. Néanmoins, le message général est louable, et l’appel lancé aux spectateur·rice·s par le film, et plus encore par les comédien·ne·s, ne demande qu’à être propagé !

Pour vous faire votre propre idée du spectacle, un show est assuré tous les vendredis et samedis à 21h, au Studio Galande (42 rue Galande à Paris). Réservation conseillée !


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