Vu d’ailleurs
Par Thaïs
Écrasés, cachés, sexualisés puis libérés… Comment la mode a traité les seins à travers l’Histoire
Certaines lui on dit adieu durant le confinement, d’autres s’en sont toujours passé. Mais pour beaucoup de femmes, le soutien-gorge s’est imposé dès l’adolescence comme une évidence.
Et pourtant, ce sous-vêtement féminin qui enveloppe la poitrine dans deux bonnets souples relevés par des bretelles n’a même pas 150 ans. Avant cela, le corps des femmes était déjà harnaché sous les robes ou chemises.
Dans la Grèce et la Rome antique, les femmes recouvraient leur poitrine — et parfois toutes les éventuelles courbes de leurs corps — d’un bandage, le strophium. Il s’agit a priori du plus lointain ancêtre du soutien-gorge actuel, et il visait notamment à répondre aux critères de beauté androgyne de l’époque, ou bien servait aux athlètes.
Quelques centaines d’années plus tard, au Moyen Âge, les « sous-vêtements » féminins continuent d’opprimer les seins — mais plutôt pour des raisons morales. En Europe, on fait par exemple porter aux jeunes filles des corsages qui aplatissaient la poitrine pour « dominer les passions ».
À partir du XVe siècle, en Asie, les « dudou » chinois étouffent, eux aussi, les seins. En fil de lin, ou parfois en chaîne de bronze et d’or, ces corsages carrés ont leur équivalent dans plusieurs pays d’Asie de l’Est. Ils permettent d’avoir une petite poitrine, celle-ci étant associée à la grâce et à la vertu dans la morale confucéenne. Ces sous-vêtements existent toujours, mais dans une version qui n’écrase pas la poitrine.
En Europe, le corset fait son apparition aux alentours du XVIe siècle. Ce n’est plus la poitrine qui est opprimée, mais le buste entier de la femme, modelé au gré des critères de beauté et des codes moraux : avoir un buste droit est signe de vertu et de droiture d’esprit. Cette invention venue de la cour espagnole utilise des tiges rigides (à l’époque, des fanons de baleines) et peut entraîner de véritables déformations physiologiques.
Pendant des années, les femmes sont donc contraintes de porter ces sous-vêtements peu confortables, qui les restreignent dans leurs mouvements. Jusqu’à une petite révolution, au tournant du XXe siècle.
Lors de l’exposition universelle de 1889, à Paris, une invention tout aussi historique que la Tour Eiffel — mais bien moins célèbre, fait son apparition : le « corselet-gorge » (voir illustration) de la corsetière française féministe Herminie Cadolle — un modèle qu’elle a inventé lorsqu’elle travaillait dans une boutique de lingerie en Argentine. Ce premier soutien-gorge moderne se concentre sur le support de la poitrine et fait disparaitre la partie rigide du corset qui immobilise le buste. Son objectif : libérer la femme de cette prison qu’est le corset.
En 1898, Herminie Cadolle dépose le brevet de ce qu’elle a logiquement surnommé « Bien-Être ». Mais il faut encore attendre avant que son invention, considérée comme peu distinguée, devienne un habit féminin du quotidien. Avec la Seconde Guerre mondiale, les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler en Europe et le sport féminin se popularise également. Elles ont besoin de liberté de mouvement : adieu donc le corset.
Tout s’accélère. Au fil des décennies et des modes, de nouveaux modèles voient le jour. Du « bullet bra » des années quarante qui fait pointer les seins sous les vêtements comme deux « missiles », au modèle push-up « Wonderbra » inventé en 1964 qui les resserre et les rehausse pour un effet grossissant — la poitrine n’est plus cachée, mais valorisée.
Bien que souvent conçus par des femmes, ces modèles restent liés aux standards de beauté de l’époque, souvent édictés par des yeux masculins. Le soutien-gorge a peut-être libéré la femme du corset, mais reste encore considéré, à l’image de ses ancêtres, comme une métaphore d’oppression patriarcale — en témoigne le mouvement « no bra » lancé par les féministes des années soixante-dix, mais qui a récemment fait son grand retour.
Mais s’il a pu être, à certaines périodes de l’Histoire, un objet d’oppression, le soutien-gorge reste pour de nombreuses femmes un sous-vêtement de confort essentiel, notamment pour éviter les douleurs au dos. Finalement, la liberté de la poitrine, c’est aussi de pouvoir choisir de porter — ou non — le soutien-gorge que l’on veut.
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