Vie sexuelle et cancer du sein : Isabelle, en rémission, nous raconte

Par Juliette

En septembre 2020, Isabelle a été diagnostiquée d’un double cancer du sein. Un an plus tard, elle est en rémission, et à 46 ans, elle nous raconte comment sa vie sexuelle a été chamboulée. De l’opération à la fin des traitements : le désir toujours là, le plaisir éteint, la douleur, le rapport au corps, son conjoint… Isabelle témoigne pour lever le tabou sur la vie sexuelle durant la maladie, largement sous-estimée dans la guérison.

Bonjour Isabelle, avez-vous maintenu une vie sexuelle active durant le traitement de votre cancer ?

J’ai complètement arrêté durant un ou deux mois. Ensuite on a repris, mais de façon très légère. Normalement on est plutôt très actifs avec mon conjoint, on le fait plusieurs fois par jour. Là, on était descendus à une fois par semaine, et c’était le summum, je ne pouvais pas plus.

Quand on m’a diagnostiquée, je n’ai pas eu de problème de libido. J’avais une libido plutôt développée, d’une femme de 45 ans qui sait ce qu’elle aime, et qui a avancé sur sa vie sexuelle. Passée la sidération de l’annonce, au contraire, j’avais peut-être envie de croquer la vie, d’exister, d’être sûre d’être vivante. Puis l’opération a eu lieu et là, on ne peut plus vous approcher, votre corps vous fait mal.

« Dans mon cerveau il y a des trucs qui ne lâchent plus. »

Ensuite, vous avez commencé la chimiothérapie en novembre, puis la radiothérapie, jusqu’en juin dernier ?

La chimio, c’est un vrai karcher. Entre la fatigue, le dégoût, l’odeur, c’est devenu extrêmement compliqué — alors même que j’ai un homme absolument incroyable, qui m’a très bien accompagnée, de douceur et de caresses. Le corps devient hypersensible avec les produits chimiques. On peut se dire que la relation sexuelle va nous faire monter aux rideaux, mais pas du tout, c’est une sensibilité qui devient vite très douloureuse, alors qu’il y avait de l’envie pour moi.

Et puis avec le temps, cette hypersensibilité s’est transformée en quelque chose de surprenant : c’est comme si mon désir, qui existe, ne se transformait plus. Comme si chimiquement il y avait ce désir de vie sexuelle, de partage, mais que le plaisir, je ne l’atteignais plus, ou tellement moins fort que c’est super décevant. Dans mon cerveau il y a des trucs qui ne lâchent plus : je n’obtiens pas les mêmes orgasmes, je n’ai pas les mêmes envies. Je suis encore à la recherche de cette symbiose.

Je sais que ce n’est pas technique. Il y a un moment où ça l’était : une sécheresse vaginale provoquée par le traitement. J’en ai parlé à mon oncologue qui m’a donné ce qu’il fallait. Mais maintenant que cette partie-là est rentrée dans l’ordre, il reste quelque chose de l’ordre de l’émotionnel qui ne se fait plus. Et je ne sais pas à qui en parler.

« La jouissance, le plaisir, l’amour, c’est aussi ce qui va nous permettre de tenir. »

Avez-vous la sensation d’avoir été accompagnée, pour retrouver votre vie sexuelle ?

C’est très compliqué d’en parler avec son oncologue, car les médecins sont là pour soigner le cancer. Quand on parle de nos petits bobos (comme la perte de libido), ils nous disent que ce n’est pas très grave, qu’on va d’abord soigner le cancer… Sauf que ça fait partie de la vie, et que c’est important pour moi.

La sexualité c’est le sel de la vie, on en a besoin. Quand vous m’avez contactée, je me suis dit « enfin ! ». Il faut qu’on en parle plus, de la sexualité et du cancer. Car on ne sait pas vers qui se tourner. Or la jouissance, le plaisir, l’amour, sont essentiels pour le moral. C’est aussi ce qui va nous permettre de tenir.

« Quand on n’aime pas son corps, c’est compliqué de faire l’amour avec. »

L’image de votre nouveau corps a joué sur votre sexualité ?

J’ai eu la chance qu’on puisse préserver mon sein, même s’il ne ressemble pas à un vrai sein*. C’est la première chose que j’ai vérifiée en sortant de l’opération, si mon sein était là.

L’enlever, c’est une atteinte à l’image de la femme, à l’image sexuelle. On se le prend vraiment en pleine poire. Et puis on a cette perte de sensibilité de cette partie du corps, puisque les tissus nerveux ont été coupés. Je n’ai pas encore récupéré ma sensibilité sous mon bras, sur une partie du dos et du sein. C’était une zone érogène, et ça ne l’est plus partout.

Je suis de celles qui ont besoin de s’aimer, pour être à l’aise avec son corps lors de l’acte sexuel. De me retrouver sans cheveux, ça a été compliqué. Mais le plus dur a été quand j’ai perdu mes cils et mes sourcils, où là, physiquement j’ai vraiment ressenti que j’étais malade. Et quand on n’aime pas son corps, c’est compliqué de faire l’amour avec.

Il a fallu que je me réappropie ce corps, et la kiné a été un véritable outil pour moi. Tous les deux jours, la praticienne me massait le sein, le bras, elle m’a forcée à me regarder et à m’a réappris à me toucher. Ça m’a énormément aidée. Si je n’avais pas eu cela, je ne sais pas si j’aurais été capable de recommencer un rapport sexuel avec mon conjoint.

Quelle a été sa place durant votre année de traitement ?

Un acte sexuel, ça se fait à deux. J’ai senti à quel point il continuait à m’aimer telle que j’étais, donc je ne me suis pas renfermée complètement. Mais je sais que c’est le cas de beaucoup de femmes. Ça s’est beaucoup passé dans ses regards, ses touchers.

Quant au syndrome de l’infirmier**, nous ne l’avons pas vécu, mais je pense que c’est lié à notre mode de vie, nous ne vivons pas 100 % du temps ensemble. Quand je le voyais, c’était ma bouffée d’oxygène.


* Isabelle a eu une tumerectomie : une opération qui consiste à enlever uniquement la partie du sein où la tumeur est localisée.

** Syndrome de l’infirmier : certaines femmes atteintes de cancer du sein racontent que parfois, du fait des circonstances, leur conjoint·e adopte un rôle plus proche du « médecin » que de « l’amant·e », ce qui peut modifier le rapport amoureux et sexuel.

Pour retrouver le podcast d’Isabelle, sur la vie quotidienne avec le cancer, accompagné d’analyses de philosophes, c’est ici.

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