Vu d’ailleurs
Par Thaïs
Hypersexualisation des seins : une histoire pas si universelle
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir. »
Ce célèbre extrait du Tartuffe de Molière, pièce du XVIIe siècle, sonne encore bien d’actualité aujourd’hui. À la plage, sur les réseaux sociaux ou encore dans la rue, pour allaiter son enfant : les seins des femmes doivent être cachés pour les préserver des regards désireux. Sans cela, elles prennent le risque d’être considérées comme des exhibitionnistes, voire insultées.
Les seins semblent de nos jours indissociables de la sexualité, mais ça n’a pas toujours été le cas.
L’anthropologue Clellan Ford et l’ethnologue Frank Beach s’étaient en effet déjà posé la question en 1951 dans leur livre Patterns of Sexual Behavior. Sur 191 cultures étudiées, de l’Océanie à l’Amérique Latine, les hommes associaient les seins à un désir sexuel dans seulement 13 d’entre elles.
Selon Margaret Mead, une autre célèbre anthropologue du siècle dernier, la poitrine est en outre bien moins sexualisée dans les cultures où les femmes les montrent en permanence. Dans notre société, elle est très vite cachée aux jeunes enfants.
Les pieds avant les seins
Il y a plusieurs siècles, d’autres parties du corps ont été largement plus sexualisées que les seins des femmes à travers le monde.
En Chine par exemple, les pieds ont longtemps été considérés comme la partie la plus intime du corps. Les hommes les fantasmaient petits et recourbés. Et sous la dynastie Qing (1644-1911), les manuels sexuels présentent même 48 façons de les incorporer dans le rapport sexuel. Une représentation qui a encouragé la pratique du bandage des pieds — à l’origine de terribles souffrances pour des générations de femmes.
En Angleterre, sous l’ère Victorienne (XIXe siècle), ce sont les chevilles des femmes que l’on cache. Montrer un décolleté est alors perçu comme moins impudique qu’une cheville nue.
Longtemps associés à la maternité, ce n’est qu’au XIVe siècle que les seins auraient commencé à être particulièrement sexualisés en France, notamment avec l’arrivée des corsages. Dans la peinture, les poitrines de femmes apparaissent alors sans qu’elles soient en train d’allaiter, comme sur cette peinture en illustration, signée François Clouet.
C’est au XXe siècle que se renforce cette hypersexualisation systématique, avec le développement des magazines et des films porno. On promeut la figure de la Pin-up, et la taille des seins devient particulièrement importante.
Aujourd’hui, cette hypersexualisation vaut aux femmes françaises d’être embarrassées lorsqu’elles utilisent leur poitrine pour allaiter. Selon une étude de 2014, seulement 34 % d’entre elles estiment qu’il est normal de donner le sein en public, contre 57 % aux États-Unis ou encore 38 % en Turquie.
Une hypersexualisation associée à un « male gaze » (regard masculin) et que cherchent à déconstruire de nombreuses féministes. En tête, le mouvement américain Free the Nipple, qui lutte contre la censure des poitrines et des tétons dans l’espace public.
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