« Je suis porteuse d’un virus, mais je reste quelqu’un de normal »
Par Thaïs
Florence a appris qu’elle était infectée par le VIH en 2003, à l’âge de 32 ans. Elle était alors mère de deux enfants. À 54 ans aujourd’hui, elle raconte son quotidien.
« J’ai été contaminée par mon compagnon. On avait une histoire passionnelle et je ne comprenais pas pourquoi il ne voulait absolument pas qu’on enlève la capote. Lui était séropositif depuis 18 ans. Mais il n’osait pas me le dire, il pensait que je le quitterais immédiatement. Quand il a fini par le faire, il a été très surpris quand je lui ai dit que ça ne changerait rien. Mais entre-temps, on avait parfois retiré le préservatif.
J’ai appris ma séropositivité après de gros problèmes de santé, ça avait déjà progressé au stade sida.
Et là, j’ai fait un déni de cette maladie. Malgré les symptômes, les horribles démangeaisons… Pour moi, c’était quelque chose qui arrivait aux autres, pas à moi, avec ma super santé et ma patate d’enfer. J’ai fini par reconnaitre mon état et j’ai pris différents traitements très lourds, avant de trouver le bon, avec lequel je n’ai quasiment pas d’effets secondaires. Et aujourd’hui, je ne me sens pas du tout malade. »
À côté de ce traitement et des problèmes de santé de Florence, c’est surtout à travers le regard des autres que la séropositivité l’a transformée.
« On est tellement des pestiféré·e·s que personne n’ose dire qu’iel est séropositif·ve. Certain·e·s ont tellement peur d’avouer et de perdre leur compagnon·e, qu’il y a des personnes qui ne savent même pas qu’elles le sont. Moi-même j’ai peut-être contaminé d’autres hommes avant de savoir que j’étais séropositive.
Après avoir mis fin à cette relation (pour d’autres raisons), ma sexualité s’est quasiment arrêtée. Quand une occasion se présentait, je prévenais mon partenaire que j’étais séropositive. Quand ils étaient partants, impossible d’aller jusqu’au bout, car ils faisaient un blocage psychologique, malgré le préservatif. Je n‘ai d’ailleurs compris que récemment que je n’étais pas contagieuse avec mon traitement.
J’ai aussi eu beaucoup de mal à en parler à certains proches, et, quand je l’ai fait, ça a suscité des réactions très différentes : de très bon·ne·s ami·e·s, du jour au lendemain, ne m’ont plus adressé la parole parce que j’étais séropositive ; un autre s’est effondré en larmes et m’a prise en pitié. Je n’ai pas aimé ça non plus : je suis porteuse d’un virus, mais je reste quelqu’un de normal. Aujourd’hui, si on a un traitement qui nous convient, on n’est même pas malade.
Il m’a fallu près de 4 ans pour l’avouer à mes deux enfants plus âgés, bien préparer le terrain et leur expliquer que leur maman n’allait pas mourir. Et je leur ai dit de garder le secret, surtout dans leur école : ’’J’ai trop peur que vos copains et leurs parents vous rejettent à cause de ma maladie“, leur ai-je dit. Les gens pensent être tolérants, comprendre la maladie et ce que vivent les séropositifs, mais quand ils sont confrontés à nous, tout peut changer. »
Le fils de Florence : « On vivait dans un univers où dans les cours de récré, on jouait à ”se donner le sida’’, sans savoir vraiment ce que c’était. Quand elle nous l’a dit, j’ai bien sûr d’abord eu peur pour elle. Mais comme elle n’était pas paniquée et nous expliquait bien tout, ça a été. Elle voulait absolument qu’on le garde pour nous : parce que dans la tête des gens, surtout des enfants, tu devenais un·e pestiféré·e. Avant, c’était un secret trop lourd à garder, mais aujourd’hui j’en parle beaucoup plus facilement, et je pense que les gens comprennent mieux. »
**Nicolas, 32 ans, a appris sa séropositivité il y a 11 ans. Il a lancé l’association** Supersero et le compte Instagram** @supersero_** qui luttent pour la visibilité des personnes séropositives.
« Quand tu es séropositif, les gens te posent souvent cette question très indiscrète : “comment tu l’as attrapé ?”. Question que je trouve hyper violente, car dans la tête des gens, c’est souvent le même schéma : soit par ta mère, soit parce que tu es toxico, soit un abus sexuel. En dehors de ça, c’est souvent ’’que tu l’as bien cherché’’. En fait, on te responsabilise d’emblée là où c’est un accident.
La question qu’on ne te pose pas, c’est comment le corps médical a réagi et comment on nous impose de réagir. Car même si tu fais tout pour le vivre bien, on ne te laisse pas le choix.
J’ai appris ma séropositivité en voyage à Montréal. J’avais attrapé une connerie lors d’une primo-infection : je n’arrivais plus à marcher. J’ai été rapatrié en France, testé. Le laboratoire m’a simplement dit “c’est très grave” mais il refusait de prendre la responsabilité de m’en parler, idem pour le médecin remplaçant. À part le docteur qui me l’a annoncé, à l’hôpital, on ne m’a jamais donné les bonnes informations. On te parle de termes techniques mais on oublie de te dire l’essentiel : ’’Vous n’allez pas mourir ; aujourd’hui, sous traitement, vous pouvez avoir des enfants et vous ne mettez pas les gens en danger.’’ »
Il y a 3 mois, Nicolas a lancé l’association Supersero. Il organise des apéros ouverts où tout le monde peut témoigner, fait des interviews sur le sujet, des vidéos sur TikTok. Enfin, il dessine des BD pour chasser les idées reçues (voir ci-dessous !)
« J’ai plusieurs objectifs : permettre de penser différemment le VIH, dire que c’est possible d’en parler, et montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls. Parce que quand tu es séropositif·ve, tu es tellement isolé·e. On associe ça à la mort, à quelque chose qu’on ne connaît pas, alors quand tu apprends que tu l’es, tu tombes dans un trou noir, un espace ou il n’y a aucune information.
Dès le début, c’était important pour moi d’en parler ouvertement. J’ai annoncé ma séropositivité sur Facebook six mois après l’avoir appris. Des messages de soutien ont suivi, mais aussi des insultes et des menaces de mort… Je pense que tout ça peut changer si on se rencontre, et si on se soutient.
En à peine deux mois avec Supersero, 10 personnes ont fait leur coming out séropositif. Je reçois des dizaines de messages, certain·e·s m’expliquent être à bout, et n’avoir jamais rencontré d’autres séropositif·ve·s.
Pour moi, ce qui est essentiel, c’est de donner aux séropositif·ve·s plus de représentations. Il faudrait nous voir et nous entendre bien plus dans les médias, avoir des personnages séropositifs dans les séries ou dans les films. Surtout, il faudrait que des célébrités séropositives prennent la parole, des séropositif·ve·s d’aujourd’hui qui le vivent bien et vont bien, pour montrer notre vrai quotidien. »
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