Rencontre avec Aïcha Abbadi, réalisatrice de Mystère et boule d’orgasme

Par Juliette

Aïcha Abbadi, 23 ans, est née à Rabat au Maroc. Tout juste diplômée d’une école d’audiovisuel à Paris, elle a réalisé le documentaire Mystère et boule d’orgasme, sorti le 16 octobre sur France TV Slash — la plateforme des jeunes adultes de France Télévisions. Dans ce film, elle libère la parole sur le plaisir féminin et aborde ce sujet dans toute sa diversité, à travers des interviews d’hommes et de femmes de tous âges.

Elle est également aux commandes du compte @mysteretbouledorgasme, qui parle plaisir et bien-être sexuel, avec une communauté de 12 000 abonnés. Elle a répondu à nos questions depuis son pays natal, où elle est confinée.

Bonjour Aïcha. Un mot d’abord sur l’actualité. As-tu un conseil pour vivre au mieux notre sexualité confinée ?

Profiter de ce moment de solitude pour se donner du temps à soi et se reconnecter avec son corps. Au lieu de souffrir du manque de compagnie, mettre à profit cette période pour se découvrir, explorer… prendre un miroir et voir comment ça se passe au niveau de nos parties génitales. Dans un sens, je pense que ce temps qu’on a peut être positif pour se découvrir.

Ton film parle du plaisir féminin, et en particulier de l’orgasme. Pourquoi avoir choisi ce thème ?

Il y a beaucoup d’incompréhension et un manque d’information autour du sujet. On n’accorde pas assez d’importance au plaisir féminin, que ce soit en cours, dans l’éducation sexuelle ou dans la recherche scientifique, qui ne met pas assez d’argent dans les travaux sur les organes féminins. Il y a des tas de médicaments pour soigner les troubles érectiles, les pénis, mais pas autant pour les femmes.

Quand j’ai commencé à faire mes recherches, j’ai trouvé le sujet tellement vaste et beau, tout comme la diversité qui existe dans ces réalités : il n’y a pas qu’un seul orgasme féminin mais une multitude. Je ne cherchais pas un sujet pour un documentaire, c’est ce sujet-là qui m’a donné envie de faire un film.

Comment tu expliques cette différence dans la médiatisation du pénis et du vagin ?

On vit dans un monde phallo-centré. La domination masculine est omniprésente dans le patriarcat. Le pénis a toujours été plus important que le vagin. On pense qu’il est plus grand… alors qu’en fait non, le clitoris mesure jusqu’à 13 centimètres, soit la taille moyenne d’un pénis. Mais c’est le genre de chose qu’on ne sait pas, par exemple…

En quoi ce sujet raisonne dans ton histoire personnelle ?

J’ai grandi au Maroc, dans une société qui compte toujours beaucoup de tabous concernant la sexualité féminine et la sexualité en général. Ça m’a convaincue de faire ce documentaire.

Ici, les femmes sont éduquées à donner, toujours, sans demander en retour. La femme est toujours considérée comme la maman, la mariée. Notre but, c’est d’arriver au mariage, de séduire l’homme et donc de lui donner du plaisir. En tant que femme marocaine, on ne se demande donc pas quel est notre plaisir. C’est une des choses qui m’a fait réaliser qu’il y avait un problème à ce niveau.

Qu’est-ce que tu as appris avec ce film ?

J’ai tout appris. Enfin, je sais qu’il reste encore beaucoup de choses. Mais entre le début et la fin du projet, j’ai acquis quelque chose comme 70 % de connaissances en plus : j’ai appris que l’orgasme féminin c’était quelque chose d’hyper divers, qu’il n’y avait pas moyen de le théoriser. Que c’était très psychologique, qu’on peut avoir des orgasmes de 3 secondes ou 5 minutes selon les femmes… J’ai appris comment ça se passe à l’intérieur de notre corps, qu’il y a beaucoup de similitudes entre le vagin et le pénis, qui sont composés de la même matière corporelle et font la même taille. J’ai aussi appris, enfin, que la sexualité ne s’arrête pas à 75 ans…

Dans ton film, il y a des témoignages très divers… Des étudiant·e·s, des femmes ménopausées, une chercheuse, un homme sage-femme, et des militantes connues sur les réseaux sociaux comme Camille Aumont Carnel du compte @jemenbatsleclito ou Noémie de Lattre (@noemie.de.lattre). Comment as-tu choisi tes personnages ?

J’en avais déjà imaginé quelques-uns, des amis notamment qui témoignent dans le film. Ensuite, j’ai fait des posts sur Instagram. J’ai trié parmi les propositions que j’ai reçues et j’ai gardé les profils les plus intéressants. Il y a aussi des personnes, comme Noémie de Lattre, que je voulais absolument. Je suis allée la voir la fin de son spectacle de théâtre, et elle a dit oui tout de suite. C’était important pour moi de faire témoigner tous les âges, pour que tout le monde se reconnaisse d’une manière ou d’une autre.

Pourquoi est-ce essentiel aujourd’hui, de parler de plaisir féminin en France ?

Pour déculpabiliser les personnes qui ont eu des expériences traumatisantes. Une grande majorité des femmes ont intériorisé un sentiment de honte envers leur sexe et leurs relations sexuelles. C’est important d’en parler, pour faire réaliser qu’on est toutes pareilles, ça n’arrive pas qu’à toi ou à moi. (Le film parle notamment du vaginisme, des tabous sur la masturbation infantile, ou du sexe pendant les règles).

Comment évoquer le sujet avec son ou sa partenaire ?

Parfois, c’est difficile. On peut alors passer par des métaphores, plutôt que de dire à son copain ou à sa copine : « Oui alors j’aimerais que tu fasses comme ça ». Ça peut parfois blesser aussi, car on a tous notre égo. Mais aujourd’hui on a les réseaux sociaux, on peut envoyer une petite vidéo sur le sujet en disant : « Ah regarde, je trouve ça intéressant ». On peut le dire par des gestes, pendant l’acte. Et puis si on est à l’aise, on peut en parler directement, chercher à mieux comprendre son plaisir avec l’autre.

Et comment on devient à l’aise avec ça ?

Il faut essayer une fois, sans forcément l’être. Ce sera différent si ça fait longtemps que le couple est établi. C’est comme pour plein d’autres sujets, ça se passe bien si les deux personnes sont à l’aise entre elles.

Quand tu as commencé ton projet de film il y a deux ans, la libération de la parole commençait tout juste sur les réseaux. Quand tu vois aujourd’hui, les dizaines de comptes Instagram qui ont émergé sur le plaisir féminin, le corps, les règles ou l’acceptation de soi en tant que femme… Qu’est-ce que tu ressens ?

Je suis contente, c’est hyper positif. Le changement est en train de se faire. Je me rappelle à l’époque, quand j’ai débuté le projet du film (il y a deux ans), il n’y avait que @jouissance.club. Quand j’ai commencé les tournages, le compte @tasjoui est arrivé. Et petit à petit, plein de comptes ont explosé. Je me suis dit : « Bon, je ne suis pas folle, on commence à en parler. »

Ton mot de la fin ?

Allez voir Mystère et boule d’orgasme et dites-moi ce que vous en pensez. Hydratez-vous bien, méditez et, si vous le voulez, masturbez-vous, pour mieux vous connaitre.

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