Vu d’ailleurs
Par Thaïs
Le Yaoi : le fantasme féminin des amours érotiques masculines
Encore une fois, désolée, on repart bien à l’Est, mais pour parler d’un fantasme nippon qui dépasse largement les frontières de l’île : celui de la fiction homo-érotique et homo-pornographique. Au Japon, ce genre est connu sous le nom de « Yaoi » ou encore « BL » (Boy’s Love) Ce sont des fictions généralement de type manga, amateures comme publiées, et mettant en scène l’amour entre deux hommes, de la petite tension sexuelle aux scènes de jouissance plus explicites et graphiques.
Loin d’être un genre niche, le fantasme féminin de la tension amoureuse et/ou sexuelle entre deux hommes est un lieu commun au Japon.
De fait, le yaoi est un genre conçu par les femmes et pour les femmes. Dans les yaois, la relation se construit quasiment toujours dans une dynamique entre dominant (le « seme », « attaquer » en japonais, celui qui pénètre) et dominé (le « uke », ou « recevoir » en japonais). Ces derniers ont souvent des mimiques et comportements associés, dans l’imaginaire, aux femmes. Deux éléments qui illustrent comment ces fictions érotiques peuvent être perçues comme mimant une relation hétéronormée.
Mais alors pourquoi le public féminin préférerait ce type de fiction érotique à du Hentai (manga porno) ou même à du porno classique, mettant des femmes en scène ? Il n’y a pas encore de réponse évidente à cette question, qui a même donné naissance à une discipline universitaire : les « BL Studies ». Un élément avancé parmi d’autres : mettre en scène un rapport sexuel entre deux hommes permettrait une médiation « rassurante » ou du moins permettrait d’inscrire définitivement l’acte sexuel dans l’ordre des fantasmes.
En lisant ou regardant un yaoi, un homme gay ne s’y reconnaitrait donc pas aisément. Le genre tend cependant à se diversifier et insère de plus en plus des réflexions autour de l’identité sexuelle et le vivre gay au Japon. Car si l’homosexualité cartonne dans le monde du fantasme, la société japonaise a encore du mal à l’accepter dans la vraie vie.
Le fantasme de l’amour homo-érotique dépasse largement les frontières nippones : des œuvres similaires existent en Chine, en Corée du Sud, au Vietnam ou encore en Thaïlande, des pays qui produisent des fictions similaires. Sans oublier que le yaoi s’est ensuite confondu avec un phénomène identifié plutôt aux États-Unis et mettant lui aussi en scène des amours masculines érotiques : le « slash ». Comme pour le yaoi, cet univers est né d’amours fantasmées entre personnage de film/séries ou personnes réelles. Le terme « slash » faisant référence à la barre oblique qui sépare le nom de deux personnes du couple rêvé. Ce serait les amours fantasmes de Spock et du Capitaine Kirk (Star Trek) qui auraient ouvert le bal dans les années soixante-dix. Aujourd’hui, les fanfictions mettant en scène des amours masculines où les avertissements « -18 » fusent. Encore une fois les auteurs sont, pour la plupart, des femmes.
Les histoires de fans (ou fanfictions) mettant en scène ces couples fantasmés entre deux hommes sont celles qui connaissent le plus grand succès : sur le site de référence en la matière, « Archive of Our Own » (ou AO3 pour les intimes), les 19 premiers couples les plus populaires sont tous des couples slash/yaoi.
En France, le yaoi a aussi de plus en plus d’adeptes. Un salon y est même consacré : la « Yaoi Yuri Con ». Julie, 24 ans, s’y est déjà rendu plusieurs fois. Elle a très vite accroché au genre, alors adolescente : « Dans le BL, les relations sont plus intéressantes, il y a une tout autre sensibilité et une dynamique que je ne retrouve pas dans les œuvres hétéros classiques. Aujourd’hui, ce type de fiction laisse plus de liberté dans la construction des relations. » Autre explication d’Anouk qui l’a plusieurs fois accompagnée : « On a deux fois plus d’hommes que dans une fiction érotique classique, on gagne au change. Et au moins on est sûr que l’action ne va pas s’attarder sur une paire de seins ou tout ce qu’un regard d’homme valoriserait. »
Les amatrices de yaoi ont cependant du mal à le faire entendre à de non-initiés : « Les gens ont du mal à comprendre que l’amour entre deux mecs puissent m’exciter, alors que personne se pose la question des mecs qui aiment les pornos lesbiens. »
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